Odilon Redon et le Messie féminin
Suzy Lévy
Éditions Cercle d’art, collection Diagonales
Si un artiste porte une place à part dans les avant-gardes de la fin du XIXe siècle, c’est bien Odilon Redon. L’ami et inspirateur des Nabis, fidèle croisé de l’ésotérisme, échappe à l’arborescence traditionnelle de l’histoire de l’art en partie parce que son oeuvre se pare de mystères sans chercher une autre représentation du réel, à la différence de celle de
ses contemporains. Odilon Redon fait “des images dans les images” comme le rappelle Suzy Lévy, l’auteure de l’ouvrage et de nombreuses autres études sur l’artiste. Et le travail de Lévy n’est pas de chercher obstinément à lever le voile sur les énigmes qui entourent ses peintures et ses dessins. Plutôt que de les dé-masquer, il s’agit pour elle de les accompagner. Elle suit Redon dans les sillons complexes de l’ésotérisme, notamment quand celui-ci croise les paraboles gnostiques et la pensée franc-maçonne dispensées par les témoins de l’époque. Redon est un artiste de son temps. Un artiste-érudit sensible à la peinture, la musique, la littérature de son temps, surtout celles qui revisitent le rôle de la femme dans l’Histoire. Les écrits de Michelet, Flaubert, Huysmans, la peinture d’Émile Bernard, de Maurice Denis, plus avant celle de Delacroix s’accordent sur ce point : la figure féminine une fois réhabilitée, c’est l’avenir de l’Homme qui est mis en jachère. Chez Redon, le “complet développement” passe par le double, l’entité féminin-masculin, le personnage androgyne auquel il s’identifie particulièrement. L’ange déchu, la figure mystique de la Vierge ou de Jeanne d’Arc : les protagonistes de Redon sont tour à tour désenchantés et rédempteurs, monstrueux et fragiles, sereins et torturés. Il emprunte à ses lectures un souffle austère et romantique, au japonisme son imagerie grotesque et ses codes. Redon en fait ressortir une sève très personnelle, le personnage du Messie féminin, cette combinaison ultime pour l’humain, entre héroïsme, animalité et désir de renouveau. C’est de cette manière que nous avançons avec Suzy Lévy, pas à pas, au coeur de ses passionnantes recherches, dans ce que nous livrent progressivement les rencontres de Redon, ses correspondances, sa bibliothèque. D’ailleurs, il n’y a pas de conclusion, l’interprétation court toujours...
Emmanuel Posnic
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