Couleur du temps
Françoise Chandernagor
Éditions Gallimard
L’annonce de la présentation au Salon d’un Portrait de l’artiste avec sa famille, œuvre du peintre V*** fait grand bruit : on le sait vieux, seul et désargenté, spécialisé dans les portraits officiels et mondains, et l’on se demande que vient faire au Louvre, parmi les peintures édifiantes exaltant les vertus, ce “portrait d’une vie” d’un artiste sur le point de tirer sa révérence. Baptiste V*** est un peintre du XVIIIesiècle, de ceux dont les tableaux sommeillent dans les réserves des musées en attendant qu’on leur redonne une seconde vie. Inutile cependant de rechercher l’identité que masquent les astérisques, sa biographie relève seule de l’imagination créatrice de Françoise Chandernagor, mais quel plaisir en revanche de connaître le nom évocateur de ses amis : Oudry, Chardin… Baptiste est un “enfant des Lumières” d’origine modeste, qui a la chance d’être formé dans l’atelier de Largillierre. Une fois admis dans la maîtrise, il peut s’établir à son compte et se fait vite apprécier de la riche bourgeoisie pour ses portraits d’apparat mythologiques dont il lance la vogue, mais il doit encore passer par l’Académie royale pour asseoir sa carrière. Quand son épouse lui demande de réaliser son portrait en pied, il ne sait pas encore que ce sera en fait celui collectif de toute une famille à laquelle il ne pourra se consacrer pleinement, comme à son tableau du reste, tout accaparé qu’il est à satisfaire aux nouvelles commandes de la famille royale. Ce portrait, ce sera l’aboutissement de toute une vie, la somme de recherches artistiques, mais surtout un monument commémoratif. L’on est encore loin de l’instantané de la photographie, et plus le temps d’exécution passe, plus la donne change au rythme implacable des naissances et des morts : le Temps lui fait son œuvre. Si le père de famille ne peut déjouer les coups du sort qui s’abattent sur les siens, le peintre peut du moins user de son art et de ses coups de pinceau pour tout recomposer en atelier et recouvrir bien des repentirs à la “couleur du temps”. Ce conte philosophique est une réflexion sur l’inconstance et la fragilité de la destinée humaine mais aussi sur la création artistique et ses artifices. L’auteur nous brosse une nouvelle fois avec brio le portrait du Siècle des Lumières mais, cette fois-ci, vu sous le profil des arts, où l’on peut suivre l’évolution des idées, de la sensibilité et du goût de l’époque.
Sandrine Lesage
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