Numéris Clausus. Artistes guadeloupéens au temps du confinement

Numéris Clausus. Artistes guadeloupéens au temps du confinement : Vue de l'exposition Numéris Clausus, Fondation Clément, Le François, 2021. Photo : Jean-Baptiste Barret/Fondation Clément    Numéris Clausus. Artistes guadeloupéens au temps du confinement : Vue de l'exposition Numéris Clausus, Fondation Clément, Le François, 2021. Oeuvres de Thierry Alet. Photo : Jean-Baptiste Barret/Fondation Clément    Numéris Clausus. Artistes guadeloupéens au temps du confinement : Chantalea Commin. Babel, les grands poissons mangent les petits. Acrylique, pastels, technique mixte sur bois, 200x200 cm, 2020. Photo : Jean-Baptiste Barret/Fondation Clément    Numéris Clausus. Artistes guadeloupéens au temps du confinement : Jérémie Paul. PinkFisherman. 200 x 160 cm, teinture et pigments sur toile libre, 2020. Photo : Jean-Baptiste Barret/Fondation Clément   


L'exposition


Artiste que son parcours a conduit à vivre et travailler entre la Guadeloupe, la Martinique et New York, Thierry Alet est aussi largement investi dans l’organisation d’expositions avec ses pairs, à l’instar de la Pool Art Fair, qui fêtait en 2019 ses dix ans d’existence. C’est donc sous cette double casquette que l’a invité la Fondation Clément, pour réunir en Martinique les œuvres d’artistes liés à la Guadeloupe. Mis un temps en suspens par le confinement, ce projet a finalement donné lieu à deux expositions parallèles, l’une physique et l’autre en ligne (visible sur j-expose.com) , sur lesquelles revient ici Thierry Alet.


Tom Laurent : Une même volonté de montrer la créativité artistique guadeloupéenne, mais deux expositions : une physique à la Fondation Clément en Martinique et une autre numérique sur le site j-expose.com. Pourquoi ce dédoublement ? Qu’est-ce qui relie et, au contraire, singularise chacune de ces deux expositions ?
Thierry Alet : J'ai presque envie de dire que ce sont les temps qui le veulent. En effet depuis un an, le monde est balloté entre incertitudes sanitaires et sentiments de privation de libertés. Le projet est un peu la manifestation de tout cela, en particulier de cette ruée vers le numérique, à tort ou a raison. Ici l’exposition J-expose participe clairement à la dimension numérique de Numéris Clausus, bien qu'étant un projet à part et pas juste une composante de l'exposition in situ à la fondation.
Nous avons travaillé assidûment aux deux expositions mais je regarde avec plus d'attention les retours sur l'exposition numérique car elle part un peu comme un outsider face à l'inertie d'une grande exposition à la fondation. D'un autre côté, J-expose à la jeunesse du numérique pour elle.

TL : L’exposition Numeris Clausus à la fondation explore des expressions en temps de confinement. Peut-on voir dans cette période le reflet, ou une extension, d’un sentiment d’isolement parfois évoqué par les artistes insulaires ?
TA : Je n'ai pas retrouvé de sentiment d'isolement dans les œuvres. Le sentiment d'isolement est dû à l'insularité mais aussi à une politique nationale qui ne tiens pas compte des Antilles en termes de développement culturel. Le jeu de mot du titre « Numerus vs Numeris » fait référence justement à cette promesse de sortie de l'isolement géographique et de dépassement de l'isolement politique. Une promesse tenue puisque le numérique permet à nos œuvres d'être plus largement vues à l’international. Une promesse qui s'évapore aussi comme une peau de chagrin à mesure que le numérique nous enferme petit à petit.

TL : Sous des formes variées, la gestualité a sa part dans plusieurs œuvres : dans l’abstraction entrelacée de Goodÿ, les signes de mains d’Antonwé, le graffiti sur toile d’Eyone ou le vaste mural de Mash, ou encore dans les empreintes de Jérémie Paul. Comment avez-vous opéré votre sélection ? Aviez-vous en tête une volonté d’en faire un reflet fidèle de ce qui se crée en Guadeloupe, par exemple ?
TA : Oui, j'ai essayé de faire en sorte que le reflet soit plus fidèle que la méthode exclusive de commissariat habituelles. En effet, le mode opératoire habituel est de choisir un thème et de présenter les œuvres de quelques artistes triés sur le volet. Parfois le tri est en fonction de l'âge ou de position géographique. Pour ma part, j'ai essayé de donner à voir ce que nous avions de plus créatif, sans préoccupation d'âge ou de niveau de reconnaissance locale. Une fois la sélection des œuvres et des artistes faites, je les ai placé dans une des trois salles de chaque exposition : la trace, le dessin et le masque social.

TL : Concernant les artistes qui participent à ces deux projets, on note aussi leurs mobilités, marquées par les allers-retours avec la Guadeloupe… Une trajectoire qui est également la vôtre : comment vous l’expliquez-vous et comment votre retour en Guadeloupe, où vous partagez votre temps avec New York depuis 2013, nourrit votre travail ?
TA : Produire une exposition d'artistes guadeloupéens c'est aussi parler de la Guadeloupe. Les déplacements font partie de l'île. J'ai même envie de dire, de sa construction. Les Noirs ont été ramené d'Afrique par les Blancs. Les Blancs eux-mêmes sont venus d'ailleurs aussi. Il reste peu de représentants des populations endémiques Caraïbes ou Arawaks. On a aussi beaucoup parlé du BUMIDOM, qui reste comme une cicatrice ouverte tant ces histoires d'enfants enlevés et de parents dupés sont encore ressenti comme une agression à l'échelle du peuple. L'exposition « Kréyol Factory » [à la Grande Halle de la Villette à Paris en 2009] en parla bien notamment. Maintenant, c'est de génocide par substitution qu'est accusé l’État français dans les discours ambiants. Alors, on utilisera le mot « déplacement » pour être politiquement correct mais aussi parce qu'à vrai dire nous n'avons pas encore démêlé le vrai du faux dans tout cela. Il m'est difficile d'attribuer des responsabilités, d'exposer les implications et de prévoir les conséquences pour nos enfants. Par contre, je peux exposer les similitudes entre les œuvres de Piquet et Boudine et ainsi faire apparaître comment le déplacement s’exprime à travers les êtres et les œuvres. Il en va de même pour les photographes Charles Chulem-Rousseau et Carla Bernhardt.
Personnellement j'ai toujours partagé mon temps entre la Guadeloupe et New York mais je suis plus souvent en Guadeloupe depuis la naissance de ma fille en 2013. Naturellement, mon travail est poreux à tous les déplacements et tous les enrichissements. Mais le fait d'être parti me permet de voir les choses de façon plus objective. En même temps, j'ai le sentiment, conceptuellement et même visuellement, de ne pas appartenir vraiment aux courants caraïbéens, guadeloupéens, new-yorkais ou français.


A voir en ligne:
J-expose. Exposition collective sur j-expose.com



Quand


15/01/2021 - 11/04/2021
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