C’était mon frère
Judith Perrignon
Éditions L’iconoclaste
Judith Perrignon, journaliste à Libération, est aguerrie dans l’art de brosser le portrait de personnalités complexes. Ici, son sujet est Van Gogh, et le portrait double, celui de deux frères illustres : Théo et Vincent. La source première de l’auteur est un témoignage exceptionnel dont s’est nourri son imaginaire (« j’ai imaginé, je n’ai pas inventé ») : la correspondance qu’ont entretenue les deux frères de façon régulière à partir de 1872. Mais l’habileté et l’originalité de l’écrivain consistent à nous faire vivre cet échange fusionnel de l’intérieur. Le récit s’ouvre à la première personne, le “je” est Théo, celui qui peut dire, le 30 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, au lendemain de la mort de Vincent : « c’était mon frère». Dès lors, on ne pense plus “Van Gogh”, l’un des peintres les plus connus aujourd’hui, mais “Vincent”, l’autre, l’alter ego de Théo. Comme dans un journal intime ou au début d’une lettre, un lieu, une date servent de repères spatiaux-temporels aux pérégrinations de la pensée de Théo en pèlerinage sur les traces de son frère. Tentant de pallier à l’absence, celui-ci continue de s’adresser par-delà la mort à son éternel confident. De cette douloureuse introspection et de son cortège de souvenirs et de témoignages, ainsi que des regrets inévitables qui les accompagnent, nous est livré un récit poignant où l’expérience du deuil est vécue avec empathie, émouvant aussi quand la limpidité de l’écriture rejoint celle de la fameuse correspondance. Théo était le soutien affectif et dévoué de son frère, il devient son représentant et dépositaire. Auprès de sa famille, il tente de réhabiliter l’image du fils incompris; auprès des amateurs d’art, de faire connaître les oeuvres du peintre. Mais sans Vincent qui était son étincelle de vie, Théo s’étiole et ne lui survit que quelques mois. Les deux frères étaient complémentaires avec la peinture pour point de ralliement ; c’est dans la mort qu’ils sont à nouveau réunis quand, en 1914, les cendres de Théo sont transférées à Auvers-sur-Oise au côté de son frère.
Sandrine Lesage
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