L’art italien et la Metafisica


Éditions Actes Sud / Musée de Grenoble


Où l’on retrouve Giorgio De Chirico et ses étranges personnages en quête d’auteur : mannequins de couturière, statues brisées, gants hors d’échelle, poissons, équerres, choux-fleurs, éléments d’architecture à la Giotto… Un répertoire d’objets esseulés, en attente, qui sédimentent dans des espaces sans assise, comptant un point de fuite par motif. Apollinaire nommera cela de la peinture «métaphysique». Un art nourri de littérature et de philosophie, une peinture à lire, gorgée de citations obscures, d’allégories absconses, de symboliques illisibles. Une peinture à signes donc, mais qui reste muette : d’autant plus forte visuellement que sa signification échappe. Avec son frère Alberto Savinio, l’ancien futuriste Carlo Carrà et Filippo De Pisis, Chirico crée une peinture de l’attente, du doute. Usines, locomotives… les anciens leitmotivs exaltés par le futurisme perdent de leur superbe, s’abîment dans la «mélancolie» d’un mouvement né pendant la guerre, certes, mais dans un hôpital pour malades nerveux. En 1916, Freud vient de publier L’inquiétante étrangeté. Nietzsche, ses mythes et sa Grèce archaïque traînent dans la tête des «métaphysiciens». Ils se proposent, à la suite du philosophe, de réactiver les vieux mythes. De leur rendre leur force, leur inquiétude. Entre avant-garde et archaïsme, ils inventent un vocabulaire nouveau, qui enchantera les surréalistes. Mais dans l’Italie de l’entre-deux-guerres, travailler la mythologie et la «grande tradition nationale», c’est jouer un jeu glissant. À la peinture du doute se mêlent peu à peu les certitudes fascistes. «Retour au métier» de Chirico, «retour à l’ordre», «retour à Giotto» de Carrà dès 1916, «retour à la terre». De nombreux artistes influencés par la Metafisica évoluent vers des croisements étonnants. Mario Sironi passe à la peinture de fresques, plus apte à instruire les masses, sans perdre pour autant son esthétique personnelle. Filippo De Pisis poursuit ses natures mortes lunaires, mais d’étranges slogans viennent s’y greffer (« Alla dolce Patria»). Le mérite de ce livre, publié dans le cadre de l’exposition du musée de Grenoble, est de faire comprendre, à l’aide de courtes études consacrées aux principaux protagonistes, la diversité du mouvement, la richesse de ses lignes de fuite, irréductibles à une histoire de l’art linéaire. On regrette cependant une véritable analyse du rapport entretenu par ces artistes avec le régime mussolinien. Si nombre d’entre eux finissent par peindre «triste», la politique a joué son rôle.

Louis Imbert


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