Histoire de l’art, une discipline à ses frontières
Éric Michaud
Éditions Hazan
Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Éric Michaud élabore avec patience et rigueur une des oeuvres les plus passionnantes du champ de l’histoire de l’art contemporain. Spécialiste des avant-gardes historiques, il a consacré notamment en 1996 un ouvrage sur la fonction de l’art sous leIIIe Reich allemand (Un art de l’éternité) qui a fait date. Dans le prolongement de cette réflexion, son dernier livre regroupe cinq articles écrits par la suite, dont quatre avaient déjà paru dans différentes revues et un catalogue d’exposition, de manière à rendre compte de l’unité de sa recherche théorique, en dépit de la variété des sujets. Il aborde ainsi la question de l’autonomie de l’art, celle de l’opposition consacrée par la tradition historiographique entre les cultures du Nord et du Sud, mais également les discours antisémites autour de l’École de Paris dans les années 1920, le messianisme artistique aux XIXe et XXe siècles, et revient finalement sur l’invention de Daguerre qui ébranla le monde des peintres dans son rapport au divin. À chaque fois, les analyses empruntent la voie de la démystification et offrent par exemple une lecture sans concession de certaines pages noires de l’histoire de l’art sur lesquelles peu de choses s’écrivent aujourd’hui. Là où d’autres préfèrent continuer d’héroïser, voire de glorifier, Éric Michaud s’interroge sur la modernité et la complète liberté que prônèrent les artistes au moment où l’industrie, et tout particulièrement la photographie, venaient les mettre en danger, tandis que les crispations identitaires donnaient lieu à la formulation d’une histoire de la création plastique à la fois nationaliste et raciste. Le retour au "génie du peuple" chez Viollet-le-Duc, Aloïs Riegl ou Heinrich Wölfflin anticipait alors sur la peur de la judaïsation de l’Europe dans l’entre-deux guerre à laquelle le milieu de l’art français fut loin d’être étranger. Se manifestaient de la sorte les réponses de ceux qu’effrayait le cosmopolitisme culturel et social, placé sous l’égide des transformations techniques et économiques. Il s’agissait pour les acteurs de ce courant de pensée de retourner aux sources de l’art classique quand les avant-gardes hypothéquaient l’avenir en se faisant les guides du futur, seule chance selon eux d’exister face à l’implacable concurrence de la publicité. À travers cette histoire souvent âpre de la seconde moitié du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, c’est bien sûr la question fondamentale du rôle de l’art au sein de nos sociétés démocratiques qui est envisagée, cet art qui reste plus que jamais inquiet depuis que les dieux, selon l’auteur, ne sont plus là pour le justifier.
Fabien Danesi
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