Hans Hartung : les Aléas d’une réception


Annie Claustres
Éditions Les Presses du réel


De Hans Hartung (1904-1989), on savait jusqu'alors qu'il était l'un des peintres emblématiques de la deuxième génération de l'abstraction. Représentant de l'expressionnisme gestuel, il avait eu une reconnaissance paradoxale, souvent cité comme un artiste incontournable de l'après-guerre mais oublié quant aux études approfondies. Il manquait donc un ouvrage de référence, ce dont s'acquitte parfaitement le livre d'Annie Claustres. Maître de conférences en histoire de l'art contemporain du XXe siècle à l'université de Lyon II – Louis Lumière, l'auteur laisse de côté les monographies ennuyeuses perpétuant la vision romantique du génial artiste, héros de son temps, pour une réflexion qui échappe à la linéarité biographique et s'intéresse tout particulièrement aux modalités de la réception de l'oeuvre d'Hartung, d'autant plus indissociable de sa création qu'elle s'est avérée souvent faussée : là où ses toiles des années 1950 furent associées à une pratique spontanée, il fallait en fait y voir le report scrupuleux de travaux antérieurs sur papier. La mise au carreau fut en effet employée pour ses tâches et autres signes graphiques qui en firent l'un des pères de l'art informel.Ainsi, la démonstration d'Annie Claustres s'attache-t-elle aux précises procédures de production qui constituèrent en leur temps de véritables secrets d'atelier, tout en nous livrant des analyses pénétrantes qui témoignent d'une remarquable sensibilité au langage plastique. Mais la belle lucidité de l'auteur est de ne pas s'en tenir à ce registre somme toute classique de l'histoire de l'art. Elle intègre aussi les facteurs sociologiques et politiques, habituellement écartés, afin de mieux comprendre le succès critique et commercial de l'oeuvre d'Hartung. À travers une lecture serrée des articles et catalogues de l'époque, elle revient sur les différents débats qui ont animé le monde de l'art et montre la place du peintre au regard des autres mouvements, comme le Nouveau Réalisme ou même l'art corporel. C'est d'ailleurs dans l'examen détaillé de la scène artistique que réside la pertinence de cet essai, soulignant qu'une oeuvre n'est pas simplement un objet mais un réseau de relations et de commentaires dont on ne peut faire aujourd'hui abstraction. Annie Claustres s'associe alors elle-même à cette longue chaîne interprétative et reprend les termes de "lyrisme" et de "tachisme" en proposant une lecture nietzschéenne pour le premier et une transposition de la théorie de Cozens pour le second. Ces deux exemples sont significatifs de l'inventivité de son examen à laquelle il faut ajouter la proposition éditoriale novatrice puisque l'ensemble des oeuvres évoquées et certains documents d'archives sont à consulter sur un site Internet très agréable d'utilisation. Bref, avec ce livre, on assiste certainement à l’émergence d'une historienne de l'art, rigoureuse et créatrice, qui devrait concrétiser dans les années à venir la promesse faite ici dans la mesure où elle dépasse déjà largement son sujet.

Fabien Danesi


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