Premier jet, témoin de l’inconscient, signe d’une libération primitive de la pensée qui s’échappe, s’égare parfois par pathologie, le gribouillis mêle des notions de spontanéité qui brouille et entrelace les lignes, à une conception régressive du dessin allant de la recherche d’épure à l’enfantillage. Ses auteurs ne sont souvent pas très nets, mal dégrossis : enfants, maniaques, taulards… Toute une faune que l’art brut nous a appris à révérer et a servi d’étalon aux Dada comme aux situationnistes. Seulement, dès le Magdalénien, les artistes de la Grotte des Trois-Frères confondent leurs traits en y incisant signes libres et raclures. Et, si les piles du Capitole portent toujours les graffitis apotropaïques des fidèles de tous poils, les marges des manuscrits enluminées vont longtemps jouer d’une calligraphie emballée pour souligner, commenter, biffer. Qu’il recouvre, donc, le mur d’une cité antique ou le vélin sorti des productions monastiques, le gribouillage oscille entre la création et le vandalisme et connaît une véritable phase de questionnement avec l’arrivée de la Renaissance, jalouse de son concept de peinture-pensée. Il se conçoit alors comme la contrepartie de l’idéalisme et il n’est pas anodin que les maîtres incontestés de ces temps héroïques aient sacrifié au plaisir du dessin régressif et expressif.

Extrait de l'article de Vincent Quéau publié dans le N°105 de la revue Art Absolument. Parution le 17 mars 2023.

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