Près de soixante ans durant, Jacques Villeglé n’a cessé d’arpenter la ville pour constituer l’une des œuvres les plus singulières qui soit, faite d’affiches lacérées anonymes. Depuis plus de quinze ans qu’il a mis fin à cette récolte, il s’adonne à composer un autre volet de son œuvre en déclinant l’alphabet socio-politique, qu’il a inventé dès 1969, sous toutes les formes plastiques possibles. Dans les deux cas, c’est à la fréquentation quasi amoureuse de la ville que cet artiste hors normes – qui fêtera fin avril ses 95 printemps ! – doit l’intelligence et le sens de son travail. Issu du Nouveau réalisme, il en a porté haut le principe d’appropriation du réel. S’il a tout d’abord composé avec les images qui en narrent les riches heures, les entrées et les sorties de ses acteurs, avec son alphabet socio-politique, il en a débordé le champ pour élaborer une œuvre qui en appelle aux mots, à la parole, voire à la sentence, bref pour constituer une sorte de « dit », à la façon du temps jadis.
Ce « dit de Villeglé » – qui s’appuie sur un alphabet dont les lettres empruntent graphiquement à toutes sortes de registres symboliques – mêle avec bonheur citations et déclarations dans une invasion scripturale du plus bel effet. Celle que l’on peut voir et lire, en mars-avril peintes sur les cimaises de la galerie Vallois, forme une sorte de ronde joyeuse et festive qui fait du bien aux yeux et à l’esprit. « Soyons réalistes exigeons l’impossible »... « Ce qui importe dans une technique c’est de ne pas la maîtriser »... « Vivre c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner »... Che Guevara, Dubuffet, Perec... De la collecte à la collection, l’art de Villeglé relève d’une irrésistible propension à l’anthologie. En témoigne l’imposante masse éditoriale de ses publications à laquelle s’ajoute le catalogue noir et blanc, réalisé à l’occasion, riche d’une iconographie qui en dit long de l’intarissable esprit d’invention de l’artiste.

Philippe Piguet

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