Tout un film !
L'exposition
"Tout un film !", réunissant œuvres d’artistes contemporains et travaux graphiques issues des collections de la Cinémathèque Française, devait être montrée en mars 2020 lors du salon Drawing Now par sa directrice artistique Joana P. R. Neves. Avec une édition annulée au seuil du premier confinement, c’est au Drawing Lab, le centre d’art consacré au dessin contemporain que les organisatrices de la foire dirigent également à Paris, qu’elle se tient finalement, confirmant tout l’intérêt de ce croisement des genres.
Au Drawing Lab, c’est d’abord l’occasion de voir le statut des pièces exposées muer, comme l’observe Françoise Lémerige, chargée de la collection des dessins et des œuvres plastiques à la Cinémathèque Française. Ainsi des storyboards dont elle rappelle la fonction économique originelle, permettant de chiffrer les coûts d’un tournage pour anticiper sa production. Mais dès lors qu’on regarde ces suites de vignettes pour elles-mêmes, le storyboard qu’Alex Tavouralis a réalisé pour "Le Parrain 2" de Coppola frappe surtout par sa qualité narrative – rendant saillant un territoire commun à l’industrie du cinéma et au 9e art. Selon Françoise Lémerige, il revient à Henri Langlois d’avoir commencé à conserver certains de ces éléments techniques, tout comme des maquettes de décors, de costumes ou encore d’affiches. Mais s’il agissait pour le fondateur de la Cinémathèque Française de donner à penser la fabrique filmique, c’est comme champ d’exploration que certains artistes les ont pris. Travaillant comme illustratrice pour des revues, Camille Lavaud en a ainsi fait un objet de fiction qui brasse ensemble outils graphiques et filmiques, de production et de promotion, à travers des œuvres rejouant les éléments graphiques d’affiches ou planches entre BD et storyboard. Non sans références marquées au cinéma de Clouzot – dont la minutie jusqu’au-boutiste a laissé quelques 365 dessins préparatoires pour le tournage de "L’Enfer", son ultime film resté inachevé suite à son décès en plein tournage. A proximité, c’est une autre histoire qu’évoquent les figures pour "Le Roi et l’Oiseau" (1948) dessinées par Paul Grimault. Récupérés dans des poubelles à Londres où ils avaient dû être traité par un laboratoire pour la première mouture du film, ils ont été donnés en 2014 via le British Film Institute à la Cinémathèque française, rejoignant croquis annotés et d’autres celluloïds d’animation confiés par le réalisateur lui-même. Posées à la gouache sur des feuilles de celluloïd largement altérées, leur vue appelle à mesurer leur part matérielle. Et plus encore ce qui la sépare de la fluidité poétique insufflée par Grimault et Prévert dans leur adaptation du conte d'Andersen.
Invité côté artistes contemporains, Antoine Marquis avait déjà pu évoquer dans des dessins "La Planète sauvage" de Roland Topor. Il avoue ici sa fascination pour Alejandro Jodorowsky, instigateur du groupe Panique avec Topor avant sa riche carrière comme scénariste de bande-dessinée. Si un personnage rudimentaire et une suite de dés tous deux créées par lui et issues des collections de la Cinémathèque Française sont exposés au Drawing Lab, c’est qu’entre-temps, Jodorowsky s’est lancé dans la réalisation de films devenus cultes. « "La Montagne sacrée", qu’il tourne en 1973, est un film qu’on ne pourrait plus faire, car c’est une superproduction expérimentale, à la fois ésotérique et bénéficiant de gros moyens », explique Antoine Marquis. De son côté, le dessinateur a recomposé au sein de petits formats des vues d’intérieurs en négatif marquées par la force de leur cadrage et des fragments où flottent des motifs initiatiques tirés du film, comme autant de pièges pour le regard où contemplation et tentative de les déchiffrer peuvent se laisser aller de pair. Mathieu Dufois a lui aussi pu travailler sur les collections la Cinémathèque Française : son attention s’est fixée sur une peinture du décorateur Alexandre Trauner pour un film de Marcel Carné qui n’a jamais vu le jour. Traduit en maquette puis filmé comme le décor d’un film fantôme qui parlerait de lui-même, son projet "Et ne reste que le décor" s’enferme sans doute trop dans son propos pour laisser place à la projection. À l’extrême inverse, les marques qu’Elsa Werth a disséminées dans l’espace d’exposition s’avèrent d’une discrétion assumée. Simples croix surmontées de la mention « point de fuite » tamponnées à même les murs, l’économie du procédé trouve un pendant fécond dans l’acuité des réflexions qu’il ouvre. « Ce qui joue hors-champ m’intéresse », décrit par exemple Elsa Werth quant à sa présence dans une exposition entre dessin et cinéma. Son intervention appelle à spéculer quant aux perspectives qui leur sont communs : le cinéma comme le dessin, espace impossible pour des projections imaginaires.
Tom Laurent
Au Drawing Lab, c’est d’abord l’occasion de voir le statut des pièces exposées muer, comme l’observe Françoise Lémerige, chargée de la collection des dessins et des œuvres plastiques à la Cinémathèque Française. Ainsi des storyboards dont elle rappelle la fonction économique originelle, permettant de chiffrer les coûts d’un tournage pour anticiper sa production. Mais dès lors qu’on regarde ces suites de vignettes pour elles-mêmes, le storyboard qu’Alex Tavouralis a réalisé pour "Le Parrain 2" de Coppola frappe surtout par sa qualité narrative – rendant saillant un territoire commun à l’industrie du cinéma et au 9e art. Selon Françoise Lémerige, il revient à Henri Langlois d’avoir commencé à conserver certains de ces éléments techniques, tout comme des maquettes de décors, de costumes ou encore d’affiches. Mais s’il agissait pour le fondateur de la Cinémathèque Française de donner à penser la fabrique filmique, c’est comme champ d’exploration que certains artistes les ont pris. Travaillant comme illustratrice pour des revues, Camille Lavaud en a ainsi fait un objet de fiction qui brasse ensemble outils graphiques et filmiques, de production et de promotion, à travers des œuvres rejouant les éléments graphiques d’affiches ou planches entre BD et storyboard. Non sans références marquées au cinéma de Clouzot – dont la minutie jusqu’au-boutiste a laissé quelques 365 dessins préparatoires pour le tournage de "L’Enfer", son ultime film resté inachevé suite à son décès en plein tournage. A proximité, c’est une autre histoire qu’évoquent les figures pour "Le Roi et l’Oiseau" (1948) dessinées par Paul Grimault. Récupérés dans des poubelles à Londres où ils avaient dû être traité par un laboratoire pour la première mouture du film, ils ont été donnés en 2014 via le British Film Institute à la Cinémathèque française, rejoignant croquis annotés et d’autres celluloïds d’animation confiés par le réalisateur lui-même. Posées à la gouache sur des feuilles de celluloïd largement altérées, leur vue appelle à mesurer leur part matérielle. Et plus encore ce qui la sépare de la fluidité poétique insufflée par Grimault et Prévert dans leur adaptation du conte d'Andersen.
Invité côté artistes contemporains, Antoine Marquis avait déjà pu évoquer dans des dessins "La Planète sauvage" de Roland Topor. Il avoue ici sa fascination pour Alejandro Jodorowsky, instigateur du groupe Panique avec Topor avant sa riche carrière comme scénariste de bande-dessinée. Si un personnage rudimentaire et une suite de dés tous deux créées par lui et issues des collections de la Cinémathèque Française sont exposés au Drawing Lab, c’est qu’entre-temps, Jodorowsky s’est lancé dans la réalisation de films devenus cultes. « "La Montagne sacrée", qu’il tourne en 1973, est un film qu’on ne pourrait plus faire, car c’est une superproduction expérimentale, à la fois ésotérique et bénéficiant de gros moyens », explique Antoine Marquis. De son côté, le dessinateur a recomposé au sein de petits formats des vues d’intérieurs en négatif marquées par la force de leur cadrage et des fragments où flottent des motifs initiatiques tirés du film, comme autant de pièges pour le regard où contemplation et tentative de les déchiffrer peuvent se laisser aller de pair. Mathieu Dufois a lui aussi pu travailler sur les collections la Cinémathèque Française : son attention s’est fixée sur une peinture du décorateur Alexandre Trauner pour un film de Marcel Carné qui n’a jamais vu le jour. Traduit en maquette puis filmé comme le décor d’un film fantôme qui parlerait de lui-même, son projet "Et ne reste que le décor" s’enferme sans doute trop dans son propos pour laisser place à la projection. À l’extrême inverse, les marques qu’Elsa Werth a disséminées dans l’espace d’exposition s’avèrent d’une discrétion assumée. Simples croix surmontées de la mention « point de fuite » tamponnées à même les murs, l’économie du procédé trouve un pendant fécond dans l’acuité des réflexions qu’il ouvre. « Ce qui joue hors-champ m’intéresse », décrit par exemple Elsa Werth quant à sa présence dans une exposition entre dessin et cinéma. Son intervention appelle à spéculer quant aux perspectives qui leur sont communs : le cinéma comme le dessin, espace impossible pour des projections imaginaires.
Tom Laurent
Quand
16/01/2021 - 25/02/2021