Dorothea Lange. Politiques du visible
L'exposition
En 1933, Dorothea Lange est une new-yorkaise accomplie, une photographe de studio à l’abri de la crise sociale due au crash boursier de 1929. De sa fenêtre, pourtant, elle assiste aux manifestations insoutenables d’une misère croissante, qui la font descendre dans la rue munie de son plus grand atout : son objectif. Le milieu urbain ne la quittera plus. Lange traverse le Mississipi, le Nouveau Mexique ou la Floride, les routes et campagnes sinistrées de 22 états des Etats-Unis, pour alimenter les archives de diverses institutions fédérales. Si elle ne revendique aucun propos politique inhérent à son travail - elle se dit d’ailleurs libérale - la photographe se projette davantage en anthropologue, voire en archiviste, dressant le constat d’une urgence sociale. Dans ses portraits sensibles, elle fait de Florence Owens Thompson l’iconique mère désemparée face à l’urgence de la faim dans Migrant Mother (en 1936), d’un Homme à la casquette le visage du travailleur de 1934, ou d’une prise d’habitations de cueilleurs de citrons mexicains, l’universelle maison du pauvre. L’exposition du Jeu de Paume révèle encore des aspects moins connus du travail de l’artiste et postérieurs, tel son projet Public Defender (L’avocat commis d’office) pour Life à l’occasion du Law Day (1er Mai) en 55-57. Dans ce florilège, un fil conducteur transparaît : en quelques endroits du monde qu’elle soit, l’aisance interactionnelle est telle entre Lange et ses modèles que personne, sur ces images, ne semble remarquer l’objectif. Un engagement humain plus que politique, donc, que les cartels - directement inspirés des légendes rédigées par Lange elle-même - soulignent, en expliquant factuellement quelle est la situation - dramatique - des personnes photographiées. Une manière de rapprocher le spectateur des sujets, au point d’y projeter, une nouvelle fois, notre représentation collective de l’Amérique d’entre-deux-guerres.
Emma Noyant
Emma Noyant
Quand
16/10/2018 - 27/01/2019