Nantes 1886. Le scandale impressionniste

Nantes 1886. Le scandale impressionniste :  Georges Seurat, L'hospice et le phare de Honfleur, 1886, National Gallery of Art, Washington © Agence Leemage    Nantes 1886. Le scandale impressionniste : Armand Guillaumin, Route à Damiette, 1885, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid, photographie © Musée Thyssen-Bornemisza    Nantes 1886. Le scandale impressionniste : Alfred Stevens, Frère et sœur devant la mer à Honfleur, avant 1891, musée d’Orsay, Paris © AKG / photo Erich Lessing    Nantes 1886. Le scandale impressionniste :  Claude Monet, Tempête, côtes de Belle-Île, 1886, musée d'Orsay, photographie © RMN-GP (musée d'Orsay) / René-Gabriel Ojéda   


L'exposition


1886, Nantes impressionnée


En revenant sur la réception de l’impressionnisme à Nantes lors du Salon qui s’y tient en octobre 1886, les commissaires Sophie Lévy et Cyrille Sciama reviennent sur un épisode méconnu du basculement d’une vision académique vers l’idée de modernité. Livret d’accompagnement au Salon, extraits de journaux, récépissés des œuvres vendues, mais surtout reconstitution de la salle aux scandales – celle dans laquelle on vit pour la première fois à Nantes les œuvres de Gauguin, Signac ou Seurat – restituent l’atmosphère de l’époque. Si, en mai de la même année, Durand-Ruel vendait à New York les impressionnistes, qui présentaient alors leur huitième exposition de groupe rue Laffitte à Paris, ce premier Salon moderne nantais ouvrait un nouveau chapitre, consacré au ruissellement d’une influence en province…

En 1886, les amateurs nantais sont portés aux sujets historiques, moraux ou religieux. On y admire Luc-Olivier Merson et son Saint François d’Assise prêche aux poissons, parce qu’il est édifiant ; on acclame le général Mellinet, cet exemple de bravoure portraituré par son ami l’artiste Jules-Élie Delaunay. Et quand s’installe cour Saint-André un salon réunissant non seulement des œuvres académiques, mais aussi des morceaux avant-gardistes comme La Fin du déjeuner de Renoir, une partie de la bourgeoisie du cru s’insurge. C’est que la modernité telle que la définit Baudelaire – « le transitoire, le fugitif, le contingent » – lui est inconnue. Devant ces virgules peintes, le public s’esclaffe, la presse locale évoque une « fumisterie » (L’Espérance du peuple) ou un « déballage impressionniste » (Nantes-Lyrique Salon), rappelant les « drôles d’artistes qui n’ont jamais pu réaliser quoi que ce soit » d’Edmond de Goncourt. La touche vaguement brouillée de Sisley dans La Lisière de la forêt au printemps surprend, le dévoilement d’un dos féminin peint par Alfred Roll heurte. Éminemment moderne, l’incertitude de la sensation rendue par des gestes fractionnés fait polémique. Mais parmi les 100 000 visiteurs se bousculant au salon, tous ne réagissent pas avec la même véhémence. Certains même s’enthousiasment, comme les critiques Zacharie Astruc et Gustave Geffroy. Et le comité réuni par Philibert Doré-Graslin est déjà solide : le collectionneur Paul Eudel, le critique d’art Frantz Jourdain ou l’artiste Jean-Léon Gérôme en font notamment partie. L’événement est propice aux rencontres, et permet même à certains de trouver un mécène, comme Renoir qui y rencontre Louis Flornoy. Plus largement, il devient le point d’ancrage d’un changement des mentalités. Un cercle local s’y crée à l’issue de l’inauguration de l’exposition : la Société des Amis des Arts, à l’origine des expositions nantaises d’art moderne dans les années 1890. Et si des collectionneurs privés s’y intéressent, le maire Édouard Normand, lui-même collectionneur de ces modernes, fera acheter ces œuvres pour le musée de la ville. Avec l’amorce d’un nouveau marché et la représentation effective des modernes par l’institution vient alors, forcément, un engouement spéculatif et populaire pour l’art moderne. Et ce en comptant sur la contribution des artistes : Claude Monet visite le musée de Nantes auquel il offre ses Nymphéas en 1922, comme un « coup de pouce », dit-il, un saut en avant vers l’avenir.

Extrait de l'article d'Emma Noyant, publié dans le N°86 de la revue Art Absolument.
Parution le 22 novembre 2018

Quand


12/10/2018 - 13/01/2019


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